Ce blog est avant tout un blog photos, mais je tente modestement une incursion dans le domaine littéraire.
Un art ou je ne suis pas pour autant à l'aise, mais l'écriture me laisse le temps du choix des mots et celui d'organiser ma pensée, un luxe que l'instantanéité de l'oral ne me permet pas.
Les interdits sont légion, je m'affranchis donc sans complexe de celui là et espère l'indulgence de mes quelques lecteurs.
J'ai choisi d'aborder l'écriture par la nouvelle.
La nouvelle est un art littéraire très codifié ; un récit court, généralement entre 1000 et 10 000 mots où le lecteur est rapidement immergé dans l'histoire. Les personnages, lieux et évènements y sont souvent limités, et la fin, la chute, qu'elle soit surprenante, implicite ou pas, est une caractéristique clé du genre..
Je vous soumets donc ma première nouvelle:
L’infirmière
Comme chaque matin, le même rituel s’égrène inlassablement.
Je m’éveille cinq minutes avant que la sonnerie de mon antique réveil matin ne retentisse. La lumière blafarde de l’aube filtre à travers les volets. Le mur blanc de ma chambre me renvoie son indifférence.
Allongée sur le côté, je laisse mes yeux suivre le tic-tac incessant du temps qui s’écoule, seconde après seconde, froid et mécanique, dans l’attente du signal.
Ces quelques minutes volées au sommeil sont propices à la réflexion, et mon esprit alors se libère. Je m’y abandonne. Le temps se dilate et m'échappe lentement, tandis que mes pensées voguent au gré de leurs propres directions, loin de la réalité. Mon esprit vagabonde et s’arrête sur ce jour mémorable :
Comme souvent je rentre tard après une journée de travail harassante. Robert m’avait laissé un mot sur le coin de la table du salon. Juste quelques lignes griffonnées à la hâte :
”Je pars, je n’en peux plus de t’attendre, tu consacres tout ton temps à ton métier qui mobilise toute ton énergie, ne me laissant que quelques miettes d’attention dont je ne peux plus me satisfaire.”
Le papier tremblait entre mes doigts ce soir-là. Le silence, plus froid que la lame d’un couteau, s’est abattu sur moi. Et son départ, le cadeau empoisonné d’un anniversaire oublié ; le salaud, me quitter le jour de mes cinquante ans !
Il est vrai que mon travail d’infirmière en milieu psychiatrique me laisse épuisée en fin de journée, et la période Covid qui s’est écoulée n’a rien arrangé. Le burn-out frappe régulièrement à ma porte… Mais je suis solide et le départ de Robert n’y changera rien.
Je suis très attachée à mes patients, et je leur consacre beaucoup de temps. Ils sont une part de moi. Je tente d'apaiser leurs délires et de raisonner leurs hallucinations, de canaliser leur agressivité, de les éveiller à leur passivité et de les sortir de leur isolement social et culturel. Leurs proches les ont tout doucement oubliés, ils n’ont plus que moi.
Sans transition, mon imaginaire se projette dans une nouvelle journée de travail à l’hôpital qui commence. Je pousse la grande porte, mes patients m’attendent.
Lucie est la plus calme. Elle semble constamment heureuse, le sourire béat, éternellement figé. Elle me regarde, les yeux dans le vide, semblant absente, dans l’attente d’une réponse à une question muette…À moins que…
Leon, comme tous les matins, est assis à l'écart dans l’angle de la pièce commune, murmurant à voix basse. Ses yeux exorbités me fixent, puis il se met à rire tout seul, un rire qui invariablement me transperce comme une décharge électrique. Ce rire est un éclat de sa folie… Mais peut-être que…
J’entends crier Mireille au bout de ce trop long couloir d’un blanc délavé…
Des cris de détresse ou d'angoisse qui souvent me poursuivent et me hantent jusque dans mon sommeil. Elle a tenté de m’agresser hier encore… Ou bien…
Jean reste invisible, ce n’est pas inhabituel, il adore se cacher. Parfois, je reste des heures sans le trouver. Mais aujourd'hui, quelque chose est différent, l’absence devient oppressante. Je l’appelle doucement comme on murmure à un fantôme :
— Jean ?
Aucune réponse… Et si c'était moi qui…
Mes visions se confondent, et je peine à distinguer ce qui est réel de ce qui ne l’est pas. Un léger tourbillon me fait vaciller entre ce qui est et ce qui n'a jamais existé.
Une chape de brume vient se poser sur ces images.
Les visages deviennent des ombres, les voix des murmures lointains… Les traits de mes patients se superposent à ceux de mes proches me hantant jusque dans mes rêves. La schizophrénie, l’obsession, les voix…, la frontière entre ce que je vois et ce que je ressens devient de plus en plus floue.
Je m’agite dans mon lit. Bien que l’air soit immobile, je sens une fraîcheur étrange se glisser sous ma peau,. Le tic-tac du réveil ralentit, chaque seconde devient un battement sourd, comme un cœur mourant, puis s'arrête, me laissant seule avec un silence pesant. Pourtant j'entends une respiration qui n’est pas la mienne, je sens sur ma nuque le souffle chaud de Robert, couché à mes côtés, et je m’apaise.
Je crois l’entendre me parler. Mais la voix est profonde, étrangère. Jean, c’est la voix de Jean qui me parle d'un ton solennel :
— Tu n'es pas malade, Simone, tu n'es pas malade…
Mon cœur s’emballe, mes mains tremblent.
J'essaie d'ouvrir les yeux, mais mes paupières sont lourdes, comme engluées dans un épais nuage de fatigue.
Les bruits de la rue s’infiltrent dans ma chambre par la fenêtre entrouverte. J’entends des voix, des rires, des cris, des pas précipités, des bruits familiers. Je pense avoir encore quelques minutes avant que la sonnerie du réveil ne se déclenche, mais il me semble que le temps s’est étiré, suspendu, comme si la réalité elle-même hésitait à reprendre son cours.
Une lourdeur s’installe dans la pièce. Une odeur d'antiseptique, plus forte que d'habitude, envahit mes narines. Elle me colle à la peau, me dégoûte, et je suis saisie d'une nausée subite. Elle envahit mes narines comme une présence oppressante, m’étouffe et m’emprisonne transformant chaque inspiration en supplice.
Je suis là, piégée dans ce corps qui n’est pas le mien.
La sonnerie de mon réveil matin se fait languir. Puis soudain l’air devient plus dense encore. Mon lit s'ouvre sous moi, m’aspirant vers le néant dans une chute interminable.
Mes cris me réveillent en sursaut.
J’ai dû me rendormir et faire un cauchemar… Lorsque j’ouvre à nouveau les yeux, tout m’échappe. Le tableau que m’avait offert ma fille, un souvenir lumineux de notre dernier Noël ensemble, et qui ornait le mur au pied de mon lit, a disparu. À sa place un Christ sur sa croix m’observe. Ses yeux sont deux abîmes noirs qui s’animent. Son regard se fait inquisiteur, semblant sonder le tréfonds de mon âme. Ses lèvres de bois s’ouvrent lentement pour me délivrer un message que je n’entends pas. Je frissonne, telle une funambule jouant du balancier, en équilibre entre raison et folie.
Je cherche la présence réconfortante de Robert à mes côtés, mais ma main ne rencontre que le vide des draps froids.
Où suis-je ?
Une porte s’ouvre dans le lointain. Un visage apparaît dans l’encadrement. Puis je sens une main se poser doucement sur mon épaule. Mon cœur rate un battement.
— Simone… C’est l’heure…
Une voix douce, un peu trop douce, comme un murmure inquiétant. Elle m’enveloppe, me saisit. Je tourne lentement la tête. Je veux dire quelque chose mais aucun mot ne sort de ma bouche, ma tête est lourde, comme si je venais de me cogner contre un mur. Je lutte contre la torpeur qui me gagne.
Je finis brusquement de me réveiller, j’écarquille les yeux :
— Robert ?
Le visage de mon mari est penché sur moi, mais quelque chose dans son apparence semble étrange. Ses traits pourtant familiers semblent déformés. Pourquoi porte-t-il cette blouse d’hôpital ? Et pourquoi ce stéthoscope autour du cou ?
— Comment elle va ce matin ? C’est l’heure de prendre ses médicaments…
Fin
Fin
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